J’ai été en résidence artistique de fin octobre 2022 à mi-décembre 2022 à la Maison Louis David d’Andernos-les-Bains. Après un mois et demi de travail, j’ai proposé une exposition de sortie de résidence sur le travail réalisé pendant cette période. Ce projet est composé d’un ensemble de pièces qui entretiennent toutes des relations étroites entre elles. Un texte d’intention générale introduit l’ensemble du projet et de courts textes écrits pour chaque pièce en particulier accompagnent chacune d’entre elles sous la forme de petits livrets que les spectateurs peuvent emprunter à l’intérieur de l’espace d’exposition.
Texte introduisant l’exposition:
Les résidences d’artiste ont lieu quelque part, à un moment donné: ici, Andernos-les-Bains, du 24 octobre au 12 décembre 2022. Il est plutôt rare d’ailleurs que dans ce cadre, l’artiste soit des alentours: elle ou il vient souvent d’ailleurs. Je me sens des lieux où j’ai vécu. Née au Pays Basque, j’y ai vécu longtemps, puis j’ai été en Charente, en Aragon, dans le Gers, dans la Haute Garonne et les provinces de Bologne et de Reggio Emilia en Italie. Je suis un peu de tous ces lieux, mais aussi de tous ces espaces fictionnels que j’ai traversés avec le cinéma, les jeux-vidéo, les livres, la peinture, la musique, etc.
La résidence d’artiste concrétise la rencontre entre un contexte chargé d’une histoire qui s’étire jusqu’à aujourd’hui, temps T du rendez vous avec le territoire, et la démarche personnelle de l’artiste. Deux aspects inextricables de l’expérience. Il y a d’abord la commande, une thématique qui délimite un cadre sans toutefois que cela revête un caractère obligatoire: La Maison Louis David, ses alentours, Andernos-les-Bains, le Bassin d’Arcachon, la Gironde… Où sont d’ailleurs, les limites de ces alentours? De ce territoire? Un territoire n’est-il-pas toujours psychique, finalement, dans la mesure où il est raconté et retranscrit par une interprétation artistique? J’explore les limites de cette définition, que seule mon imagination circonscrit: car j’ai ouvertement demandé où étaient les limites de l’espace que je pouvais parcourir, à quoi on m’a répondu d’un très suggestif «ah ça…»!
Il y a les attentes de celles et ceux qui ont pu faire en sorte qu’une offre de travail comme celleci puisse exister pour les artistes, celui des habitants et/ou des visiteurs de la Maison Louis David, ainsi que le regard particulier des acteurs du monde de l’art contemporain. Comment composer avec tout ça? Composer, et même jouer, car c’est ce que je fais. Je joue encore,
mais je le fais sérieusement, gravement. Mon travail prend toujours la forme d’une chasse au trésor qui se concrétise par des trouvailles personnelles que je «capte» avec des images, pour reprendre le mot qu’on utilise en ostréiculture. Ma démarche artistique est une traversée physique et psychique à travers les espaces, ce que j’ai pu apprendre sur leur histoire et mes projections singulières qui me renvoient, ici, à un ailleurs: je rentre dans une zone remplie de pièges, un casse-tête personnel où je dois décoder les histoires silencieuses que les images renferment et que je veux essayer de traduire, même partiellement, pour arriver à restituer un peu de ce qu’elles racontent.
Ce jeu entre l’histoire des lieux et mon histoire individuelle me fait écrire, utiliser les mots pour retranscrire, pour ne pas perdre le fil, alors que je ne veux pas que le texte soit une explication de l’œuvre. Car si l’image photographique dépend des mots pour que son sens soit révélé, elle fonctionne alors comme une énigme, un puzzle qu’il faut résoudre, ce que je veux éviter. L’image photographique doit donc avoir quelque chose à raconter par elle-même, et ce quelque chose dépend de l’interprétation de chacun. Ensuite, mes mots pourraient lui être liés et viendraient apporter des clefs permettant, potentiellement, de la regarder à travers mes yeux. La médiation peut, quant à elle, offrir un troisième niveau de lecture en faisant un pas de côté.
Comment et combien doivent être ces mots écrits avec lesquels je veux accompagner les images que je produis? Il n’y a pas une seule réponse, et je crée donc des variations qui accompagnent presque toujours mes «pièces», comme on dit en musique et en art contemporain: annotations, explications, réflexions poétiques, peut-être? Mon questionnement au sujet de la place des mots en relation aux images est encore en chantier et je ne sais d’ailleurs si ce n’est pas pour l’instant justement le fait d’offrir cette instabilité, cet inachèvement, ce questionnement, qui m’intéresse. C’est peut-être simplement parce que j’en suis là, aujourd’hui, que je souhaite le partager: Vous êtes ici.
Le temps de restitution d’un travail de recherche étant là pour arrêter et concrétiser une étape de travail à l’intérieur d’un processus de recherche, cette exposition me permet de livrer images et pensées dans un esprit qui ressemble à celui de l’atelier. Cette exposition de restitution aurait pu déjà être un vestige, car elle fige le souvenir de l’espace que j’ai traversé pendant ces dernières semaines. Mais elle est encore vivante car elle est mouvante, changeante, en devenir, en écho à la Zone dans le film «Stalker» d’Andreï Tarkovsky, qui renvoie à eux-mêmes ceux qui la traversent, comme un miroir. Le travail d’écriture qui est en cours résonne, quant à lui, avec ce que l’écriture représente dans le jeu-vidéo de 1997 «Riven, la suite de Myst»: le monde est généré par un livre où les mots tirent le fil de l’histoire, et continuer à écrire est la seule façon de consolider ce monde, d’empêcher qu’il se désagrège.
Voici les pièces qui faisaient partie du projet:
Tentative de corruption de l’esprit de la carte postale
2022, installation (photographie numérique imprimée sur papier mat 40 x 30 cm, une
carte postale sur présentoir, 1 texte)


J’ai fait beaucoup de photographies dans l’idée de “l’esprit de la carte postale”, fantasme que j’ai créé de toutes pièces. Le site naturel des quinconces offrait des paysages à couper le souffle et je n’avais qu’une envie, garder une trace pour m’en souvenir. Peut-être que j’avais au fond de moi l’impression qu’avec une photographie instantanée, je pourrais attraper ce moment qui, autrement, se serait évanoui. Mais ensuite je me suis dit que ce n’est pas mon rôle d’artiste de faire une photographie «carte postale», à moins de pondre un discours qui puisse justifier de cette décision. Je me suis alors questionnée sur ce que signifiait pour moi cet «esprit de la carte postale».
Je me suis dit que j’entendais par cela un esprit résolument classique: une composition descriptive (d’un paysage, par exemple) qui capturerait une beauté conventionnelle, déjà vue, et qui se devait d’être simplement une image capturant un souvenir. Un objet, même, dont le devoir, le rôle est de contenir un moment.
J’ai alors imaginé des variations dans lesquelles pour une raison ou pour une autre, une beauté classique pouvait être troublée. J’ai trouvé plusieurs réponses, mais je n’en ai gardé qu’une que j’ai encadrée, intitulée «Supercherie» et j’ai décidé de la disposer à côté d’une version A5 format carte postale d’elle-même, sur présentoir.
«Supercherie» est un paysage, mais elle risque de se faire passer pour ce qu’elle n’est pas, peut-être, je l’espère. Elle a l’air de décrire un grand espace, mais il s’agit d’un détail qui était tout près de moi. C’est une belle image, à mon goût, et je prends le risque de poser ce mot là, ainsi que celui d’avoir voulu présenter quelque chose que je trouvais beau.
L’eau a écrit
2022, 3 photographies numériques, impression sur papier mat et contrecollage sur aluminium, 30 x 40 cm / 40 x 30 cm chacune, 1 texte

Sur la première image, un motif graphique se dessine avec les marées sur cette pente très douce des plages d’Andernos-les-Bains. Sur la deuxième, l’eau semble avoir gravé un glyphe. Dans la dernière, je ne comprends pas ce que je vois, mais il s’est passé quelque chose, c’est un dessin, un bas-relief, presque une sculpture.
Traces et indices au domaine de Certes et Graveyron
2022, 1 photographie numérique, impression sur papier mat et contrecollage sur aluminium 40 x 30 cm, 1 texte

Le domaine de Certes et Graveyron est un site protégé où beaucoup d’animaux et de plantes
trouvent refuge. Un écrin de biodiversité consacré à la préservation et à la connaissance.
Des visites guidées avec des guides naturalistes nous apprennent à reconnaître les traces et indices qui nous mettent sur la piste des êtres qui peuplent les lieux et qu’on ne sait pas toujours voir.
J’ai trouvé des empreintes d’êtres humains qui sont passés par là.
Projections
2022, 4 photographies numériques, impression sur papier satiné, 30 x 40 cm chacune, 4 textes

Sur la surface de l’océan de la planète Solaris se forment des amas, de structures organiques qui semblent représenter des choses, des objets de notre monde, des figures. Elles sont générées en notre présence, et finissent par se désagréger. On dirait que l’océan réagit à notre présence, ou qu’il essaie de communiquer avec nous

Observé sur le port d’Andernos-les-Bains. Je vois quelque chose que je ne comprends pas et du coup, j’imagine un
bâtiment, une épave, une création humaine laissée là, au contact de la nature (que l’on oppose à l’humain dans notre définition occidentale) qui a repris ses droits. C’est peut-être pour ça que je vois dans cette image les tanks de la zone. Mais je sais que j’ai beaucoup d’imagination.

La commune d’Arès est dotée d’un ovniport depuis les
années 70, pour accueillir les extraterrestres

Impossible de ne pas remarquer ces piquets de bois sur le site des Quinconces. Et les cormorans, qui ne semblent
jamais les quitter. Les piquets délimitent une pompe à eau qui sert à acheminer l’eau de mer filtrée jusqu’au port, pour l’élevage des huîtres. Les piquets disent ceci: attention, il ne faut pas passer par ici, c’est un endroit dangereux.
Les épées
2022, diptyque de photographies numériques, impression sur papier mat, 60 x 37,6 cm chacune

C’est peut-être un esprit de contradiction qui a donné cet intitulé à ces deux photographies d’arbres brûlés au sud de la Teste-de-Buch. La relation titre/objet retourne la situation, comme le fait l’oxymore, figure de style que j’ai souvent croisé dans l’art contemporain. Ici, les carcasses des victimes des incendies de juillet 2022 deviennent des armes. Des armes pour qui? A qui sont-elles? Est-ce que cela a un sens?
Peut-être que l’explication de cet intitulé se trouve ailleurs, inaccessible, superflue. Je me la garde pour moi.
Dialogue
2022, diptyque de photographies numériques, impression sur papier mat et contrecollage sur aluminium, 40 x 50 cm chacune

Note: ces deux photographies représentent des vues qui se font quasiment face. Orientation sud-ouest pour l’une, nord nord-est pour l’autre.
Face à la mer
2022, 4 photographies numériques, impression sur papier mat et contrecollage sur médium, 24 x 32 cm chacune

L’océan, qu’il soit dans le bassin ou non, est toujours près de nous, derrière nous, quand
nous regardons ces photographies. Aucune de ces images ne représente l’idée que nous nous faisons à priori, ou que nous voulons nous faire du paysage d’Andernos-les-Bains ou de ses alentours. Cet espace fantasmé est là, hors cadre, à portée de main, et ne pas le regarder en face peut nous permettre peut-être d’en rêver, de faire l’effort de se le représenter. De lui donner une autre forme de réalité.
On dirait
2022, photographie numérique, impression sur papier mat, 73 x 49 cm

Je pense que j’ai voulu proposer ici une image qui a une intention avant tout poétique.
Mais il faut dire que cette image est un photomontage dans la mesure où elle est le résultat de la juxtaposition de deux photographies dont l’une des deux est à l’envers.
Le décor
2022, photographie numérique, impression sur papier mat, 52 x 70 cm

Peut-on dire de cette photographie que c’est une photographie d’architecture? Je crois qu’elle l’est à plus d’un titre car non seulement elle est l’image du mur d’une église, mais en plus elle représente un château.
Comme la pièce «Les personnages», à laquelle “Le décor” est lié malgré lui, il a été fabriqué à partir d’un fichier “raw” (dit brut) avec une superposition de fichier “jpg” qui me permettait de récupérer les authentiques couleurs de la prise de vue. Je me pose la question: est-ce que le résultat est un photomontage?
Les personnages
2022, photographie numérique, impression sur papier mat, 52 x 70 cm

Dans la Zone, les personnages sont au nombre de 3: l’écrivain, le professeur, le Stalker. Cette peinture murale se trouve dans l’église de Saint-Eloi à Andernos-les-Bains et date de la fin du moyen âge. Elle a longtemps été cachée sous d’autres matériaux qui couvraient les murs.
Cette photographie a été obtenue à partir d’un fichier numérique «raw». C’est ce que je fais quand je ne me satisfais pas du rendu compressé dit «jpg» automatiquement généré par l’appareil, et que je veux récupérer des détails qui sont préservés par le fichier brut. Quand on travaille à partir du “raw”, la notion de retouche perd son sens, car il faut travailler à retrouver l’image que l’on a vue, et dont le “jpg” peut nous offrir une référence. Ici, j’ai fabriqué l’image, je l’ai découverte petit à petit, pas après pas sur mon logiciel, un peu comme elle a pu l’être quand les couches qui préservaient la peinture murale ont été enlevées.
Puzzle game
2022, 6 photographies numériques, impression sur papier satiné, 30 x 40 cm chacune, 1 texte

Les entrailles de la plus longue jetée de France m’ont séduite. Elles m’ont rappelé des images provenant d’un jeu-vidéo de genre “puzzle game” (jeu de réflexion/jeu de puzzle) où un homme qui avait perdu sa fille et qui sombrait dans le coma se retrouvait dans des paysages déserts. Des colonnes, des végétaux, des morceaux d’architecture s’érigeaient sur des étendues de sable mouillé où la lumière et ses ombres donnaient forme à des paysages intemporels et étranges. On se mettait alors à tourner autour de ces constructions pour observer les reflets et les couleurs, sans savoir si cela signifiait quelque chose ou non, s’il y avait quelque chose à y faire ou pas. Puis, par la force des choses, on finissait par comprendre que ce qu’on avait devant les yeux était un puzzle, il était à résoudre.
Projections 2
2022, 4 photographies numériques, impression sur papier mat et contrecollage sur aluminium, 24 x 32 cm chacune
